La récente famine causée par la sécheresse en Afrique de l’Est a mis l’accent sur la nécessité de faire un usage plus intelligent des ressources en eau disponibles et, lorsque cela est possible, d’affecter davantage d’eau à la production de denrées alimentaires. Les technologies de gestion intelligente de l’eau sous-tendront les deux approches. Si certaines sont nouvelles, la plupart sont des technologies existantes adaptées à des circonstances nouvelles.
L’eau est essentielle aux cultures mais on ignore souvent que l’agriculture consomme de grandes quantités d’eau. L’explosion démographique dans le monde, conjuguée au changement climatique, exacerbent la concurrence autour des ressources en eau limitées.
En dépit de la gravité du problème, nous avons toutes les raisons d’être optimistes. L’irrigation moderne est une des réussites de ces dernières décennies. Seuls 20% des terres cultivées dans le monde sont irriguées, et pourtant elles produisent plus de 40% de denrées alimentaires et des fibres consommées dans le monde. Les projets d’irrigation de grande envergure lancés en Inde, en Chine, au Pakistan et en Indonésie ont permis de nourrir des millions de personnes qui étaient condamnées à la famine. La révolution verte, dans les années 60 et 70, axée sur l’irrigation des rizières, a permis à l’Asie d’échapper à la crise alimentaire qui menaçait. Il est encore possible de développer l’agriculture irriguée et dans nombre de pays moins avancés (PMA) les précipitations ne sont pas exploitées alors qu’elles pourraient l’être grâce à l’agriculture de conservation et à l’irrigation complémentaire.
Mais dépasser la simple agriculture pluviale et exploiter les ressources en eau pour produire des denrées alimentaires exigera des investissements massifs dans les technologies de stockage de l’eau, de mesure et de contrôle du débit de l’eau pour l’irrigation, de pompage et de collecte des données sur la base desquelles les décisions sont prises. Nombreux sont les PMA qui ne disposent pas des infrastructures et des investissements nécessaires. Le problème a été aggravé par le manque d’intérêt des donateurs pour les technologies de gestion de l’eau ces 30 dernières années suite aux investissements décevants dans l’irrigation pendant les années 60 et 70. C’est le développement institutionnel qui a toujours été considéré comme prioritaire. La technologie n’est pas un aspect de la gestion de l’eau, elle en est l’épine dorsale et essentielle au succès de l’irrigation.
Tout est question de contexte
Les systèmes d’irrigation à grande échelle sont tributaires de la technologie pour distribuer l’eau aux agriculteurs, mais leur coût élevé, les préoccupations liées à leur durabilité sociale et environnementale et l’absence d’avantages concrets pour les agriculteurs les plus pauvres ont freiné les progrès ces dernières années. Dans de nombreux PMA toute l’attention est aujourd’hui portée aux petits exploitants dont les moyens de subsistance sont directement liés à l’agriculture, et ce au détriment de la mise en place de grands systèmes d’irrigation. En Afrique et en Asie, les petits exploitants agricoles représentent 80% de la population et dépendent des pluies ou de l’irrigation, ainsi que de potagers familiaux dont la superficie dépasse rarement un hectare.
La technologie peut considérablement faciliter le puisage et l’arrosage adéquats et opportuns. Cette technologie doit être simple, fiable, facile à entretenir, et elle doit être conçue pour répondre aux besoins des femmes, sachant que deux tiers des personnes qui vivent dans des régions soumises au stress hydrique sont des femmes. Le choix de la technologie ne dépend pas uniquement de sa fonction. Le contexte intervient pour beaucoup dans ce choix – lieu d’utilisation, par qui et comment. Si de nombreuses technologies passées n’ont pas connu le succès, c’est principalement parce qu’elles ne tenaient pas compte du contexte.
Des améliorations substantielles sont possibles en matière d’agriculture pluviale, en particulier en Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud. Pour exploiter ce potentiel, des stratégies innovantes sont nécessaires pour faire face aux soudaines augmentations du niveau de l’eau et aux fréquentes sécheresses. Les technologies ne sont pas nouvelles. L’intégration de la gestion des sols et de l’eau axée sur la fertilité des sols, l’amélioration de l’infiltration des précipitations et de la collecte des eaux peuvent réduire de manière significative les pertes en eau et améliorer les rendements et la productivité de l’eau. La stratégie consiste à produire plus avec chaque goutte d’eau. C’est dans les régions les plus touchées par la faim et la pauvreté que les possibilités d’amélioration sont les plus grandes.
Avantages offerts par les technologies existantes
Plutôt que développer de nouvelles technologies, c’est vraisemblablement en promouvant et en utilisant les technologies existantes, en les adaptant à ces circonstances nouvelles, que les retombées positives seront les plus grandes.
C’est en améliorant le stockage de l’eau que l’on pourra accroître de manière significative l’approvisionnement en eau consacré à la production de denrées alimentaires, en captant l’eau lorsqu’elle est abondante et en la restituant en période de pénurie. Outre les barrages, le stockage peut aussi passer par les zones humides naturelles et les réservoirs, les nappes aquifères, les sols et de petites citernes ou marres. Nombreux sont les petits exploitants qui achètent des pompes et exploitent la nappe phréatique locale plutôt que de dépendre de canaux au débit incertain. Le défi consiste à trouver le moyen de réinventer l’irrigation par canal et de faire en sorte qu’elle soit aussi efficace que l’irrigation par l’eau souterraine.
Les technologies d’irrigation modernes, comme les gicleurs et la micro-irrigation, peuvent être adaptées aux petits agriculteurs, en particulier lorsqu’ils cultivent des produits commercialisables de grande valeur et lorsque l’eau manque. Des systèmes abordables, tels les kits d’irrigation au seau ou goutte à goutte, ont été conçus pour les petits lopins de terre et les potagers essentiellement cultivés par des femmes.
L’introduction de pompes à pédale, à l’origine conçues au Bangladesh, a révolutionné le levage de l’eau, tout comme les petites pompes électriques bon marché, à essence et diesel, les technologies bon marché de forage de puits, l’électrification des zones rurales et l’énergie subventionnée. Ces innovations peuvent toutefois déboucher sur une surexploitation des terres.
Potentiel des technologies de l’information et de la communication (TIC)
Un usage plus créatif des TIC peut faciliter une gestion plus intelligente de l’eau. Les téléphones portables permettent de fournir des informations et des conseils précieux aux agriculteurs des régions les plus reculées. En Ouganda, par exemple, les agriculteurs peuvent interroger une hotline gratuite. Les opérateurs locaux s’efforcent de répondre aux questions posées et fournissent des informations sur le cours des récoltes, les prévisions météorologiques pour l’irrigation et la gestion de l’eau, les maladies qui touchent les plantes etc.
Les systèmes d’information géographique sont un autre document utile. Plus de 6000 réservoirs d’eau traditionnels ont été localisés par ce biais dans un seul sous-bassin hydrographique du bassin de Krishna. S’ils devaient être rénovés pour qu’ils puissent recueillir à peine 15%-20% des précipitations locales, ils pourraient être utilisés pour augmenter de 50% les surfaces irriguées dans la région.
Financement
Un financement adéquat est indispensable. Les gouvernements d’Asie ont lancé leur Révolution verte dans les années 70 en consacrant 15% de leur budget annuel à l’agriculture. La Banque mondiale estime qu’une augmentation de 1% du PIB agricole en Afrique permettrait de réduire la pauvreté trois ou quatre fois plus qu’une augmentation de 1% du PIB non agricole. Et pourtant les pays donateurs consacrent moins de 5% de leur aide au développement à l’agriculture.
Les crises alimentaires de ces dernières années ont contribué à mettre en avant l’agriculture sur la scène internationale, et la communauté internationale commence à se préoccuper à nouveau de la gestion de l’eau dans l’agriculture. La technologie peut contribuer à relever le défi; il incombe aux différentes parties prenantes, petits exploitants, chercheurs, décideurs politiques et gouvernements de trouver le moyen de l’utiliser à bon escient pour nous permettre de devenir un peu plus ‘écoleau’.
Le présent article est tiré de la publication CNUCED (2011) Water for Food - Innovative water management technologies for food security and poverty alleviation.
L’EAU : Quelques chiffres
• L’agriculture consomme 70% de toute l’eau prélevée dans les rivières et les aquifères du monde.
• Le régime alimentaire européen exige en moyenne 3500 litres d’eau par jour – 2,5 d’eau à boire, 150 pour cuisiner, nettoyer et laver, et le reste pour produire des denrées alimentaires.
• En Afrique du Nord, en Asie du Sud et en Afrique sub-saharienne, des millions de personnes doivent survivre avec moins de 1000 litres par jour.
• Plus de 1,4 milliards de personnes vivent dans des régions soumises au stress hydrique et d’ici 2025 leur nombre devrait atteindre 3,5 milliards.
• Plus de 20% des rivières du monde s’assèchent avant d’atteindre la mer.
• Seuls 20% des terres cultivées dans le monde sont irriguées, et pourtant elles produisent plus de 40% de la demande mondiale de denrées alimentaires et de fibres.