Dans la conjoncture actuelle de crise, difficile d'imaginer une
entreprise prospère qui soit rentable pour ses diverses parties
prenantes, aide les citoyens des pays en développement à préserver
leur héritage culturel et freine l'impact humain sur
l'environnement.
Le tourisme, secteur industriel majeur et influent, s'est déjà
taillé une réputation dans la promotion des principes du triple
bilan des performances générateurs de bénéfices positifs importants
sur l'environnement, les sociétés et les cultures. Plus que jamais
auparavant, les touristes privilégient les voyages à faible impact
sur la culture et l'environnement, et les contacts enrichissants
avec la population locale.
En outre, la viabilité économique à long terme de l'industrie
est elle-même tributaire du risque de dégradation des destinations
touristiques: érosion des plages, déforestation et déplacement des
populations. Les entreprises liées au tourisme ont l'occasion
d'être réactives, de travailler avec les communautés locales pour
offrir des produits touristiques durables mutuellement bénéfiques,
et de tirer parti des débouchés offerts par les marchés
émergents.
Planeterra au Pérou
Depuis 2005, la fondation Planeterra collabore avec la
communauté Ccaccaccollo au Pérou pour développer des opportunités
d'emploi et contribuer aux initiatives de développement
communautaire.
Malgré leur étroite proximité avec Cuzco et le Machu Picchu,
destinations touristiques phares, peu de communautés des environs
engrangent les bénéfices du tourisme. Ces communautés indigènes ont
conservé un style de vie traditionnel, surtout tourné vers les
activités agricoles et champêtres. Pour satisfaire les opportunités
d'emploi, GAP Adventures recrute les hommes de Ccaccaccollo, qui se
reconvertissent en portiers et cuisiniers sur la route des
Incas.
Planeterra offre également aux femmes une alternative économique
viable via la création d'une coopérative de tissage. En partenariat
avec une organisation péruvienne locale à but non lucratif, la
fondation a organisé des ateliers pour enseigner aux femmes les
techniques de tissage traditionnelles, abandonnées depuis
longtemps. L'effectif de la coopérative est passé de trois femmes
en 2005 à plus de 60 tisserandes, qui ressuscitent les techniques
anciennes de filage manuel de la laine, utilisent des teintures
naturelles extraites de plantes et de fleurs locales, et tissent à
la main comme autrefois.
Les voyageurs s'arrêtent volontiers dans cette communauté
lorsqu'ils visitent la Vallée sacrée. Ils y rencontrent des femmes,
se familiarisent avec la technique de tissage et achètent des
articles textiles de qualité directement auprès des artisanes. Ils
peuvent aller plus loin dans leur démarche et soutenir la
communauté en devenant bénévoles lors des visites du Machu Picchu
organisées dans le cadre du projet GAP, qui propose un logement
chez l'habitant. Les bénévoles sont accueillis dans des familles;
en contrepartie, ils donnent un coup de main dans les champs, à
l'école ou à la coopérative de tissage.
Basée à Cuzco, Danielle Weiss, Administratrice du projet
Planeterra, facilite le contact entre la communauté et les
voyageurs. S'exprimant sur une récente visite de la coopérative,
elle a déclaré:
'Juliana a parlé de sa vie passée au sein de la communauté. La
vie était dure; elle travaillait aux champs courbée sur la terre,
son bébé attaché sur le dos. Le manque d'eau a contraint la
communauté à se tourner vers d'autres activités que l'agriculture.
Elle a ajouté que certaines femmes devaient se rendre à Cuzco pour
travailler comme domestiques et femmes de ménage chez les gens
fortunés, qui leur versaient un maigre salaire et les exploitaient.
Des larmes plein les yeux, elle a évoqué sa nouvelle vie depuis
qu'elle travaille à la coopérative. Très digne, elle dit sa fierté
de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. Son mari n'est plus
le seul à ramener un salaire à la maison; désormais elle peut
acheter des aliments de meilleure qualité et financer les études de
ses enfants au-delà du primaire.'

© GAP Adventures À Ccaccaccollo, Pérou, une
coopérative de tissage permet à près de 60
femmes de subvenir aux besoins de leur famille.
Application à l'entreprise d'un résultat final intégré
La tendance actuelle chez les voyagistes de toute taille est de
trouver et d'appuyer des projets uniques procurant à la communauté
ou à l'environnement certains avantages - comme l'achat d'un lopin
de terre dans la forêt tropicale à des fins de sauvegarde ou
l'instauration de mesures d'économie d'eau et d'énergie - et d'en
faire un programme global de responsabilité sociale de
l'entreprise. Alors que ces programmes sont essentiels, ils sont
trop souvent justifiés en interne et ont pour but de réduire les
coûts d'exploitation. Ils ne traitent pas vraiment de questions
sociales et n'ont pas d'effet concret sur la politique
environnementale des entreprises.
Il faut de toute urgence mieux cerner et intégrer le résultat
final de l'entreprise: à savoir développer des pratiques dans
chaque département et aspect de l'organisation qui, prises
séparément ou dans leur globalité, assurent la durabilité des
départements et de l'organisation. Les facteurs sociaux et
environnementaux de votre secteur d'activité affectent les profits
et la viabilité de votre entreprise de la même manière que la
stricte économie, selon l'argument lié à l'intégration de la base.
Les exemples incluent de s'assurer qu'une rivière reste endiguée
pour une société de rafting; que les forêts anciennes restent
intactes pour l'observation de la faune et de la flore; ou,
surtout, qu'une communauté locale puissent accueillir des visiteurs
dans un endroit touristique de façon à bénéficier des retombées et
à inciter ses membres à préserver et à gérer le site.
Satisfaire la demande des consommateurs
Une entreprise qui respecte les principes du tourisme
responsable peut être sûre de prospérer à long terme tout en
satisfaisant la demande actuelle des consommateurs, qui n'a jamais
autant fait la part belle à la durabilité. Au plan local, jamais
les micro-entreprises n'ont eu autant d'occasions d'intégrer la
chaîne logistique organisée du tourisme. Les petites communautés
peuvent travailler avec les voyagistes nationaux et internationaux
pour développer le type de produits touristiques authentiques en
vogue actuellement auprès des voyageurs.
Le concept de 'vie simple' a le vent en poupe; il privilégie des
valeurs comme la famille, les relations et les expériences
interpersonnelles plutôt que les biens matériels. Dans le secteur
du tourisme, cela se traduit généralement par des expériences
enrichissantes plus nombreuses: dénicher de nouveaux sites et
découvrir la population et la culture locales de manière impromptue
plutôt que de se tenir à distance en voyageant dans un bus ou en
séjournant dans un hôtel avec forfaits tout inclus.
Comment évaluer l'ampleur de ce mouvement et son potentiel de
rentabilité? Alors que de nombreuses entreprises doivent réduire
les coûts et les effectifs pour survivre, GAP Adventures a
enregistré un taux de croissance historique fin 2008 et début 2009.
Près de 85 000 personnes ont voyagé avec nous l'an passé.
Opportunités en Équateur
Il y a plus de 10 ans, un directeur de GAP Adventures a
rencontré Delfin Pauchi, guide dans la jungle; celui-ci a invité
les accompagnateurs chez lui en Amazonie où ils ont pu apprécier
son mode de vie et les merveilles naturelles de l'Amazonie.
L'expérience ayant été très enrichissante pour Delfin et les
voyageurs, nous avons développé un partenariat permettant aux
voyageurs GAP d'éprouver le style de vie de Delfin, de sa femme
Estela et de leurs six enfants. Grâce à ce partenariat, Delfin et
Estela ont créé Cabañas Pimpilala, un gîte dans la jungle où ils
proposent désormais des séjours inoubliables chez l'habitant dans
le cadre d'un circuit organisé par GAP dans l'arrière-pays et en
Amazonie.
Au début de notre collaboration avec cette communauté, les
enfants devaient marcher plusieurs heures pour se rendre à l'école;
les fonds générés par le tourisme communautaire ont servi à créer
une école pour les enfants de 6 à 12 ans. Grâce à Planeterra et au
soutien des voyageurs, nous avons créé une école communautaire et
les dons ont servi à acheter des fournitures scolaires, du matériel
pédagogique et de l'eau potable, et à construire une cuisine et une
cantine.
Les chances des enfants d'étudier au-delà du secondaire étant
réduites, nous avons créé un fonds qui offre des bourses d'études
leur permettant de choisir une carrière et d'améliorer leurs
perspectives d'avenir.
Grâce aux partenariats et à l'appui des voyageurs, les membres
de cette communauté sud-américaine sont sur la voie de la
durabilité économique. Tout comme Ccaccaccollo, la région bénéficie
aujourd'hui des retombées sociales et financières du tourisme,
malgré la crise économique mondiale qui affecte de nombreuses
autres communautés de la planète.
Garantir des retombées aux autochtones
Le partenariat unique conclu entre les communautés locales et
les agences de voyage peut contribuer à résoudre un des problèmes
majeurs du développement communautaire à l'échelle mondiale: la
pénurie de fonds réguliers pour assurer le conseil d'entreprise et
la gestion du contrôle qualité. Manifestement, le profit incite les
voyagistes à continuer d'aider les communautés avec lesquelles ils
travaillent et à faire en sorte que les projets soient réalistes et
dynamiques. Il ne s'agit pas d'imposer des expériences -
l'authenticité est importante - mais il faut maintenir les
programmes et garder la cohérence de certains aspects
fondamentaux.
L'autre réalité du contrôle qualité lié à la gestion des
pratiques communautaires concerne la capacité d'accueil de ces
projets. Lorsque le nombre de visiteurs excède un certain niveau,
les membres de la communauté peuvent se lasser, les touristes sont
en surnombre et l'expérience perd de son intérêt. Le problème est
qu'il est quasiment impossible de fixer cette limite à priori;
mieux vaut surveiller régulièrement les projets. Heureusement,
cette situation encourage les voyagistes à reproduire les projets
couronnés de succès dans d'autres secteurs afin de diversifier
l'offre, de continuer à distribuer les revenus à un nombre toujours
plus élevé de communautés sans créer un niveau négatif
d'homogénéité, chaque communauté ayant ses propres
caractéristiques. De quel meilleur type de croissance peut rêver un
pays en développement?
Changement positif aux plans local et mondial
Planeterra a été créée dans le but de faire ce qui nous semblait
approprié; notre travail nous a permis d'explorer tous les aspects
de la contribution des petits projets de développement
communautaire aux économies locales et mondiales. Nous avons
découvert que le lien, apparemment ténu, tissé avec une communauté
isolée d'un pays en développement finit par affecter chaque membre
de cette communauté et par concerner chaque secteur de notre
activité avant de s'étendre à l'ensemble de notre sphère
d'influence, en particulier les voyageurs.
À petite échelle, de nombreux voyageurs s'autoproclament
ambassadeurs, collectent des fonds pour les projets auxquels ils
s'apprêtent à rendre visite ou, plus souvent, auxquels ils ont
consacré du temps lors de vacances.
À grande échelle, lorsque les décisions commerciales sont
fondées sur des considérations socioculturelles, environnementales
et économiques, le tourisme peut potentiellement initier un
changement positif. Selon l'Organisation mondiale du tourisme (OMT)
des Nations Unies, le tourisme mondial a généré US$ 856 milliards
en 2007, soit 30% des exportations mondiales de services selon
l'OMT. Intégrer la durabilité dans cette industrie gigantesque peut
améliorer la viabilité à long terme des PME et inciter d'autres
grands secteurs industriels à leur emboîter le pas.
Bruce Poon Tip est PDG et fondateur de GAP Adventures, une
entreprise de tourisme d'aventure canadienne, et son organisation
partenaire à but non lucratif Planeterra, qui soutient le
développement communautaire durable via le voyage et le
volontourisme. Il est récipiendaire de plusieurs prix récompensant
l'excellence et le caractère éthique de ses activités, dont celui
de l'entrepreneur canadien de l'année à deux reprises.