L'«Aide pour le commerce» est la nouvelle frontière de
l'assistance au développement, qu'elle soit vue comme une
augmentation de l'assistance officielle («additionnalité») ou comme
une diversion majeure. Les nouveaux montants avancés à la réunion
ministérielle de l'OMC en 2005 à Hong Kong - jusqu'à US$ 10
milliards par an pour le Japon, les États-Unis et l'Europe -
équivaut au triplement de l'aide au commerce et représente 10% de
l'APD totale.
A l'origine, l'aide pour le commerce était un concept très
simple. La majorité des pays riches versaient une part importante
de leur APD sous forme de prêts commerciaux afin de permettre aux
pays en développement d'acheter des biens à crédit auprès du
donateur. C'est le principe classique de l'aide liée, dont on eff
ace encore actuellement certaines dettes impayées.
La définition s'est élargie mais les contours sont flous. L'aide
a permis d'accroître la capacité nationale d'exportation et de
renforcer la compétitivité des entreprises. Il s'agit véritablement
d'une aide pour le commerce. Mais soutenir la «facilitation» et
l'«infrastructure» relève déjà des attributions de l'assistance
plus générale au développement.
Il reste que l'aide pour le commerce présente les
caractéristiques d'autres types d'aide et doit se voir appliquer
les critères liés à l'effi cacité de l'aide. Dans un récent rapport
sur l'assistance liée au commerce (What do recent evaluations
tell us?), le Comité d'aide au développement de l'Organisation
pour la coopération et le développement économiques (OCDE/CAD)
rapporte de nombreux problèmes récurrents liés à la gestion
traditionnelle de l'aide.
La Déclaration de Paris 2005 s'efforçait d'établir certaines
règles de base importantes pour les donateurs et les bénéficiaires
de l'aide. Il s'agissait d'une entente comportementale entre le
Nord et le Sud visant à améliorer l'efficacité de l'aide.
Il est important de rappeler les conditions structurelles,
plutôt que comportementales, qui ont, par le passé, contrarié
l'effi cacité de l'aide, notamment de l'assistance technique, par
exemple:
- L'aide est souvent gérée par de nombreuses bureaucraties
gouvernementales - plus de 80 de type multilatéral et bilatéral -
qui disposent chacune de procédures complexes.
- Nombre de ces organisations offrent des services similaires
responsables de fréquents doublons.
- Le choix des pays bénéficiaires de l'aide est entre les mains
des politiciens du Nord et sert les intérêts des donateurs - d'où
une piètre corrélation entre les pays qui ont besoin d'aide et les
pays qui reçoivent cette aide.
- Le contenu et les termes de l'aide sont fonction des besoins et
des intérêts des donateurs, non des bénéfi ciaires.
- Les règles de l'engagement sont favorables aux prestataires de
l'aide, qu'il s'agisse de gouvernance mondiale, de relations
créditeurs-débiteurs ou de pratiques commerciales.
L'aide est toujours dictée par les donateurs. On peut inciter à
davantage d'objectivité mais il faut aussi s'attaquer aux racines
structurelles du problème. Certains analystes ont comparé le
système actuel d'aide au syndrome de «planification centralisée»
des anciens pays socialistes. Actuellement, l'aide est allouée par
des bureaucrates et n'est pas adaptée à la demande du fait du
nombre insuffisant de signaux fournis par le marché. Les
fournisseurs paient mais les attentes des consommateurs ne sont pas
toujours satisfaites car elles ne font l'objet d'aucune
formulation. Selon les règles absolues du marché, les pays en
développement paieraient pour leurs besoins, le cas échéant avec
l'aide de nouveaux fonds non liés. Le scénario est séduisant.
L'assistance technique deviendrait réellement «dictée par la
demande» et «la propriété des pays» puisque ceux-ci - gouvernement,
secteur privé, institutions civiles et académiques - se mettraient
en quête, de façon autonome, des prestataires les mieux à même de
combler leurs besoins.
Ils n'auraient pas à accepter - pas plus qu'ils n'auraient les
moyens d'appliquer - de politiques additionnelles qu'ils ne
souhaitent pas. Les gouvernements n'auraient pas à créer de
département public chargé de coordonner les divers programmes
d'assistance technique (sollicités ou non). Plus besoin non plus
d'assimiler les règles complexes des différentes procédures des
donateurs sur la rédaction des propositions, le recrutement du
personnel et la fourniture de biens. Ces «consommateurs» auraient
leurs propres procédures et ne seraient plus tenus d'accueillir les
nombreuses missions ni d'apposer leur nom sur les multiples
rapports au bon vouloir des donateurs (en quête de transparence).
Les doublons diminueraient et les agences du développement seraient
soumises à une concurrence accrue.
Comment procéder?
Le processus démarrera - et a en fait déjà démarré - dans les pays
à moyens revenus comme en Amérique latine et en Asie (notamment
Chine et Inde), qui assument les frais sans toutefois se passer
entièrement de l'aide. Leurs entreprises privées, bénéfi ciaires
ultimes de l'«Aide pour le commerce», sont prêtes à payer pour des
informations, des conseils et une formation sur le commerce.
Pour que les bénéficiaires deviennent des consommateurs, il
faudra créer de nouvelles sources de pouvoir d'achat.
L'instauration d'un système global de mise en commun des fonds,
alimenté par les donateurs à partir de leur budget d'aide, a déjà
été proposé. Dans les pays en développement, les parties
intéressées solliciteraient un fi nancement auprès du fonds commun
et l'utiliseraient pour obtenir des services en faveur du
développement auprès des prestataires de leur choix. Le fonds
commun pourrait aussi distribuer aux pays en développement des bons
à échanger contre de l'argent auprès des partenaires choisis.
Le Cadre intégré renforcé
La gestion d'un tel système pose de nouveaux problèmes car il
faudra prévoir des mécanismes d'intermédiation pour répartir les
ressources additionnelles en fonction de la demande. Le nouveau
mécanisme du Cadre intégré renforcé (CIR) peut être une bonne base
de départ.
Les fonds des donateurs traditionnels seraient préalloués et
complétés par des sources non traditionnelles. Le CIR serait géré
par des représentants des pays demandeurs. Les demandes de fonds -
émanant souvent du privé - seraient assorties d'une promesse de
contribuer fi nancièrement à l'assistance. Ces demandes seraient
honorées en fonction de critères d'éligibilité (capacité à payer
notamment) fixés par la direction du CI renforcé.
Améliorer l'effi cacité de l'aide revient à faire des
bénéficiaires des consommateurs. Laissons les pays en développement
opérer leurs propres choix avec une part de leurs propres
ressources. L'«appropriation nationale» doit cesser d'être un voeu
pieux. L'exhortation des donateurs à accorder plus de place aux
«bénéfi ciaires» ne suffi t pas. Les systèmes de planification
centralisée peuvent être réformés mais il n'y a aucune alternative
au fonctionnement du marché. N'avons nous pas tiré les leçons de
l'histoire?
Le dernier livre de Stephen Browne, Aid & Infl
uence: Do Donors Help or Hinder? (Earthscan, 2006), aborde plus
en détail ces propositions.